Traduction d’un article écrit par Javier Padilla et paru dans 3:AM magazine*

Dés.enchanté.es

Traduction d’un article écrit par Benoît Lelièvre et paru dans DEAD END FOLLIES*

Si, comme nous le dit Benoît Lelièvre, Le Royaume dés/enchanté.s prend comme toile de fond les événements qui se sont déroulés à New-York le 11 septembre 2001, c’est de nous tous dont il est question dans ce livre, aux delà des cultures, des océans et de l’événement lui-même.

Le livre n’aborde d’ailleurs le sujet ni directement ni ouvertement. Cest peu à peu que le lecteur le devine confusément, puis le comprend. Et peu importe ce qui se passe ou ce qui est à venir, au fond. Ce qui compte, ce qui nous fascine tous dans ce livre, c’est la force avec laquelle Jordan Krall évoque nos vies à tous, au quotidien, fragiles toujours, menacées parfois, souvent étrangères à nos propres yeux. Nous tous, sans exception, concerné.es sans l’être vraiment ni toujours, de force parfois, dans un monde qui nous dépasse et dont nous sommes les sujets involontaires plus que les citoyens véritables, tout à la fois enchanté.es et désenchanté.es.

Si les victimes du 11 septembre 2001 sont présentes ici, c’est aussi celles de l’année 2015 qui nous viennent à l’esprit, pas aux Etats-Unis mais ici, en France, et de là toutes les autres, passées, présentes et à venir, partout dans le monde.

– mHaz

CRITIQUE LITTÉRAIRE – JORDAN KRALL – CYCLE DU ROYAUME DÉS.ENCHANTÉ.ES

Benôit Lelièvre

DEAND END FOLLIES

L’incapacité flagrante des auteurs américains à capturer les événements du 11 septembre dans une fiction pertinente ou significative a été super distrayante ces quinze dernières années si, comme moi, vous aimez mater des crashs spectaculaires sur vos écrans. Don DeLillo, Jay McInerney, Jonathan Safran Foer et plein d’autres voix américaines célèbres ont connu leur Waterloo dans l’ombre du World Trade Center. Le recueil Le Royaume dés.enchanté.es de l’auteur américain Jordan Krall, qui monte, soulève une question intéressante à ce sujet : est-ce qu’on s’y est mal pris pendant toutes ces années ? Est-ce que ce sont les Américains qui ont le plus changé après les attentats terroristes ou est-ce l’imaginaire américain ?

Il est difficile de classer Le Royaume dés.enchanté.es dans un genre ou une catégorie, car il ne cherche pas à être précis. C’est une série de vignettes ballardiennes fragmentées et vaguement reliées entre elles, mettant en scène des Américains qui dérivent vers leur destin funeste comme des condamnés à mort aux yeux bandés. Je n’ai même pas compris de quoi il s’agissait jusqu’à ce que Jordan Krall commence à faire référence au kérosène. Contrairement à ses prédécesseurs, Krall n’essaie pas de dramatiser les événements du 11 septembre ni de placer le peuple américain du bon côté d’un dilemme moral. Le Royaume dés.enchanté.es ne diabolise personne, mais jette un regard froid et dur sur le monde qu’on a construit et les institutions qui dévorent nos vies. Il montre une perspective que je n’avais jamais vue auparavant dans les fictions inspirées par le 11 septembre : et si c’était NOUS le problème et que tout cela avait été inévitable depuis le début ?

Le Royaume dés.enchanté.es est l’un des rares livres contemporains qui aient le courage d’être provocants. Le lire donne l’impression d’être dangereux, comme s’il était interdit. L’écriture de Jordan Krall m’a rappelé ces moments de bonheur où je m’endormais devant la télévision et me réveillais devant quelque chose de si merveilleusement bizarre que je ne savais pas si j’étais éveillé ou encore endormi. Mon fil narratif préféré est peut-être l’histoire du personnage récurrent Barry, qui tombe par hasard sur un magasin mystérieux appelé Hideo Video alors qu’il cherche un divertissement inspirant. Le magasin diffuse des images d’attaques terroristes et de troubles civils, comme le font YouTube ou LiveLeak. Barry finit par acheter un enregistrement audio de paysages sonores urbains qui promettent de le rendre heureux. Le rêve et le quotidien se mélangent dans Le Royaume dés.enchanté.es et j’ai trouvé que c’était l’un des exemples les plus frappants. Barry était mon personnage préféré, malgré son impuissance débilitante, car il essayait plus que quiconque de briser les œillères de sa réalité.

Jordan Krall m’a été chaudement recommandé par plusieurs sources fiables. En lisant Le Royaume dés.enchanté.es, j’ai compris pourquoi les lecteurs critiques et exigeants aiment son travail. L’écriture de Krall peut être intime ou s’étendre sur plusieurs centaines de mots. Son imagination est dynamique et turbulente, mais il a une sensibilité trompeuse et une forte compréhension de la condition humaine. Son écriture est sauvage et violente, mais il ne peut jamais cacher le fait qu’il s’en soucie. Le Royaume dés.enchanté.es parvient à préfigurer un événement de destruction massive et à faire écho à la solitude et à l’aliénation de ce mal contemporain qu’est la recherche de l’épanouissement et du bonheur. Une telle ambition dans un récit aussi fragmenté est assez impressionnante. Jordan Krall est un vrai talent, les gars.

Le saint patron de ce blog, Chuck Klosterman, a émis l’hypothèse dans son dernier livre But What if We’re Wrong? Thinking About the Present as if it Were the Past, que l’écrivain le plus important de notre époque est probablement un inconnu total aujourd’hui et qu’il publie peut-être ses écrits sur le deep web. Jordan Krall est peu connu et publie lui-même ses œuvres via la maison d’édition indépendante culte Dynatox Ministries. Il n’est donc pas si loin du portrait dressé par Klosterman, et la force de sa vision me fait penser que l’histoire lui sera favorable. Le Royaume dés.enchanté.es est un portrait puissant, déstabilisant et follement authentique de la vie dans un monde auquel on n’a plus confiance. C’est de loin le meilleur roman que j’ai lu sur les événements du 11 septembre, et j’en ai lu pas mal. Attendez-vous à voir plus de trucs de Jordan Krall sur ce site à l’avenir. Je suis maintenant fan.

A propos de l’auteur :

L’incapacité flagrante des auteurs américains à capturer les événements du 11 septembre dans une fiction pertinente ou significative a été super divertissante ces quinze dernières années si, comme moi, tu aimes regarder les accidents spectaculaires. Don DeLillo, Jay McInerney, Jonathan Safran Foer et plein d’autres voix américaines célèbres ont connu leur Waterloo dans l’ombre du World Trade Center. Le recueil Le Royaume dés.enchanté.s de l’auteur américain Jordan Krall, qui monte, soulève une question intéressante à ce sujet : est-ce qu’on s’y est mal pris pendant toutes ces années ? Est-ce que ce sont les Américains qui ont le plus changé après les attentats terroristes ou est-ce l’imaginaire américain ?

Etre informé.e des prochaines publications